jeudi 21 juillet 2016

Lecture : Gagner la guerre



Oh la la. Ce titre.
J'ai découvert l'auteur alors que j'étais une jeune stagiaire (bon d'accord, plus toute jeune pour une stagiaire quand même) dans une petite maison d'édition dont je tairais le nom. Je lisais et "triais" les manuscrits reçus d'inconnus par la poste. L'exercice est assez excitant quand on y pense comme ça, on est peut-être la première lectrice, la découvreuse de talents… mouais. Ce n'est pas tout à fait aussi idyllique, surtout qu'il s'agit d'écrits de monsieur et madame Toutlemonde, autrement dit des auteurs qui n'en sont pas (encore, me direz-vous, mais souvent qui ne le seront jamais, malheureusement). Bref. L'une des éditrices me tend un manuscrit qu'elle avait gardé par devers elle et me demande de le lire et de faire une fiche de lecture. Et là, heureusement que j'étais assise. C'est un peu comme si on vous invitait dans un monde merveilleux, réellement, celui que vous avez rêvé mais que, lucide, vous n'osiez pas même espérer qu'il existait. J'en fais peut-être un peu trop, me direz-vous, mais ce commentaire de lecture sera de toute façon, du grand n'importe quoi d'une fan qui est tout sauf objective et impartiale… Bref, revenons à nos moutons. Il s'agissait d'un recueil de nouvelles, exercice qui est loin d'être facile et bien loin d'être flatteur pour un auteur. Commencer par ce genre littéraire est un peu osé je trouve. C'est un exercice difficile, car il faut mettre en place en peu de temps, personnages et contexte, et il faut que l'histoire se tienne un minimum sans que l'auteur ait finalement des masses de temps pour s'étaler et charmer le lecteur. Un petit bijou en somme, savamment ciselé. Mais tout au contraire, il a complètement servi le talent de cet auteur que je découvrais. Les nouvelles s'enchaînaient sans que je m'en rende compte, sur des tons différents, des univers totalement différents tout en étant finalement proche, avec des personnages opposés les uns des autres, et tout ça sans même me lasser ou me désintéresser de chaque histoire. Les talents de cet auteur étaient ceux d'un conteur, d'un véritable barde. L'écriture était du pur nectar, les histoires se buvaient comme du p'tit lait, on en redemandait et on avait ce vain espoir qu'elles perdureraient encore quelques centaines de pages…
J'étais donc sous le charme total de cet auteur et j'ai offert ce recueil, qui, bien entendu a trouvé éditeur, à mon Jules à la première occasion.

Je n'ai pas tout de suite poursuivi la lecture de ses nouveaux romans qui ont suivi, aller savoir pourquoi, il n'y a pas toujours de raison. Je me suis plongée dans celle de Même pas mort, récemment, et j'ai bien sûr acquis la suite. Et puis je suis allée à la rencontre de l'auteur à l'occasion du dernier salon du livre de Paris, où j'ai acheté ce roman, déjà sorti depuis un moment et qu'une amie me tannait de lire. J'ai pu couvrir d'éloges l'auteur (en rougissant affreusement bien entendu, mais sans trop bégayer étonnamment) et j'ai gagné une dédicace.

Et puis voilà, je me suis lancée dans la lecture de ce pavé il y a bien 3 mois. J'ai mis tout ce temps pour le lire. Non pas que l'histoire soit ennuyeuse, que l'écriture ne soit pas à la hauteur ou que l'ensemble ne m'ait pas du tout intéressé. C'est tout à fait l'opposé. Mais je l'ai lu dans une période plus difficile pour moi d'un point de vue de lectrice, étant gagnée régulièrement par une torpeur et une fatigue incontrôlable. Je voudrais donc mettre sciemment de côté le temps qu'il m'a fallu pour le lire car il n'est en rien le reflet de mon plaisir. Encore que. On pourrait le prendre à rebours et se dire que j'ai volontairement voulu faire perdurer le plaisir, justement. Mais non, c'est une histoire qui se dévore, au contraire, en temps normal.

Benvenuto Gesufal est un assassin à la solde du Podestat de Ciudalia. Pour le compte de son patron, il va remplir un contrat et mettre fin aux jours d'un potentiel rival politique, mais héros de guerre. Cet acte devra bien entendu rester secret afin que son patron reste maître/héros de la ville. Mais voilà, les intrigues politiques et autres magouilles vont finir par retomber sur Benvenuto, notre serviteur. Le connaissant, ça va être sacrément sportif de sortir de ce guêpier mais rien n'est impossible pour cet artiste de la lame !

C'est génial ! Rien que la langue, vous ne pouvez vous empêcher de vous en délecter en relisant parfois plusieurs fois une même phrase qui sonne tellement bien et juste, qui coule et roule à vos oreilles. Si vous n'étiez pas dans le train, vous liriez à haute voix, rien que pour savourer le mariage parfait du son et du sens, la mélodie qui tintinnabule à vos oreilles et vous charme tout à fait. Ça y est, vous êtes fait. Vous ne pouvez plus quitter ce Benvenuto, mauvais garçon, pas toujours galant avec ces dames ni franchement amical avec les autres (surtout s'il a un contrat sur votre tête), mais tellement attachant ! Et puis il a cette façon de parler, tout en poésie des bas-fonds, d'une noblesse argotique encore une fois superbement ciselée qu'on se demande vraiment si l'auteur n'est pas ce vaurien assassin lui-même ! Ah, et que dire de l'histoire elle-même. On s'imagine que c'est tout tranquille, qu'on est du côté du "méchant" qui tue tout le monde, donc il ne lui arrivera rien, et on s'étonne soi-même de retenir son souffle alors qu'il tente de fuir sur les toits, ou qu'on a peur pour sa jolie petite gueule lorsqu'il se fait corriger… On a mal, on frémit, on sourit de ses pirouettes, on exècre les autres qui se dressent contre lui, bref, on l'aime ce Benvenuto, surtout parce qu'il est du côté obscur et que ça fait un bien fou de pouvoir se délecter de ses vengeances et de se dire à l'avance : "Quand est-ce qu'il dérouille sévère celui-là, pour lui avoir fait ce coup bas ?". On se défoule à travers lui de mettre de côté toute moralité gênante et on avance ainsi, en espérant qu'il s'en sortira, et en espérant aussi qu'il ne sera pas pour autant le héros qui ne meurt jamais ou qui n'a jamais mal. On veut une histoire bien, qui se tienne, qui garde sa logique et ne ménage pas nos petits cœurs (car pour ça, on a nos histoires à l'eau de rose à côté, merci bien). Et avec ce roman, on est servi ! Jusqu'au bout, la ligne est gardée et bien menée. C'est un pur bijou, un trésor à capturer, à s'approprier, à siroter tout seul dans son coin, le sourire aux lèvres, les yeux exorbités par la tension de l'action et de l'aventure.
Cap à Ciudalia camarade,  allez donc serrer la pogne de ce bon Benvenuto Gesufal de ma part, car il me manque déjà, le gredin !

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